Ce matin, nous avons décidé de nous lever pour voir le lever de soleil sur la Causse. Le réveil a été mis à 6h30 et c'est dur ! Le vent souffle toujours aussi fort et il est relativement froid. Nos corps encore tout ensommeillés ne sont pas de taille à l'affronter, nous prenons nos duvets pour nous emmitoufler. Notre emplacement à l'Est du Causse est stratégique pour apercevoir les premiers rayon dorer les herbes folles. Nous remontons au promontoire et nous installons un peu en contrebas sur la falaise, le dos au rocher pour nous abriter du vent et nous caler pour le spectacle.
L'aube est jaune et violette au début, rythmée par les zébrures des traces d'avions passés. Dans le fond, la vallée de Florac est encore endormie sous une épaisse couche de mer de nuages. Imperceptiblement, les teintes se réchauffent, l'air s'illumine, les vapeurs se dissipent. Les Cévennes, qui nous font face, secouent leurs dernières ombres au creux des noires vallées car déjà leurs flancs orientaux reçoivent les premiers rayons. Il nous faut attendre encore quelques minutes, un peu après 7h00 pour avoir nous aussi droit à la caresse solaire. Les falaises calcaires du Méjan se parent de riches couleurs et ressemblent à un empilement de lingots.
Bien que la température, fraîche, soit parfaite pour randonner, nous préférons, par faiblesse, nous recoucher un peu. Mal nous en prend... ! Nous nous re-réveillons vers 11h00 dans une étuve intenable. Dehors, le vent s'est apaisé et la lumière est blanche, aveuglante, implacable. Nous petit-déjeunons et nous partons vers notre destination du soir : Nîmes le Vieux. La fournaise est pratiquement à son paroxysme à cette heure là et nous sommes dans la partie du Causse la plus dépourvue en forêt et arbres : devant nous, à perte de vue, des steppes d'herbes rases ou hautes, un mélange entre la savane et les paysages Mongols. L'avantage de ce paysage ouvert c'est que l'orientation est aisée et se fait à la vue, nous savons en gros notre azimut à suivre et nous pouvons donc divaguer dans la grande prairie parsemée de collines. Nul besoin de suivre les chemins et les balises : la liberté du marcheur exacerbée !
Pourtant, pas de folies : le soleil tape dur et nous n'avons pas une réserve d'eau illimitée, le prochain ravitaillement se fera à l'arrivée.
Nous longeons le bord du Causse pendant un bon moment, la piste caillouteuse et poudreuse s'étend devant nous comme un coup de craie sur un tableau d'écolier. Nous rattrapons deux personnes au moment où le chemin part à angle droit dans la steppe, au niveau d'un menhir. Il n'y a plus de chemin d'ailleurs, il faut suivre les balises tant bien que mal au milieu des touffes de buis. Je ne sais pas si nous sommes les premiers aujourd'hui à passer par là, mais ce qui est sûr c'est qu'une demoiselle y a laissé tomber son t-shirt. Je le ramasse et l'accroche à la ceinture de mon sac-à-dos, qui sait si on ne la rattrapera pas en route.
Passé cette zone hors-piste, nous retrouvons un chemin, mais la carte nous indique qu'il fait un large virage par la gauche pour atteindre le bord du plateau. Le paysage et l'humeur du jour nous intime l'ordre de couper à travers champs : pourquoi pas vers ce sommet là-haut ? Nous aurions une belle vue pour manger ! Et nous voilà parti pour l'ascension de la colline au nord du mont Gargo, 1141 m, un des plus haut sommets du Causse. Enfin ! On coupe à travers champs, nos jambes s'affolent de cette nouvelle liberté ! La montée au soleil nous fais perdre un bon litre de sueur, je pose mon t-shirt et met celui que j'ai trouvé sur ma tête à la façon d'un chèche. Je n'ai pas tellement envie de me prendre une insolation au milieu de nulle part ! De même, Amandine se met en haut de maillot de bain. Au sommet, un pin rabougris nous fera de l'ombre pour la pause. La vue est magnifique à 360°, on voit un bon bout du Causse ! En revanche, les insectes volants sont innombrables et fort inconvenants.
Dans la descente, nous effrayons un petit troupeau de moutons qui s'était mis à l'ombre d'un frêne solitaire. La steppe ondule, écrasée par la chaleur. Nous continuons notre progression vers le SE en passant par la Combebelle : dans cette cuvette à l'abri du vent, c'est l'enfer, comme dans ces rares zones arides de la planète qui se trouvent au dessous du niveau de la mer. On longe le fond de la cuvette, bordé à l'Ouest pas la Serre de Fourcat (tient, un nom bien Pyrénéen !). Nous passons deux sortes de cols, très larges et très plat, plutôt des plateaux s'incurvant de part et d'autre. Au deuxième nous retrouvons une piste bien marquée que nous suivons encore une petite demie-heure avant de trouver le seul et unique arbuste du coin pour nous faire de l'ombre. La pause est salvatrice : il est 15h, on a l'impression que les hautes herbes vont s'enflammer spontanément sous l'ardeur du soleil.
Nous sommes bientôt arrivés : le contournement du Tourel (1211 m) nous fera rejoindre Villeneuve, puis le Veygalier par la route, où nous dormirons. Parmi les cailloux du chemin un m'attire l’œil, il possède un côté strié : c'est un bout de fossile. Le bloc fait dans les 20x20x20 cm, je le projette violemment sur un autre pour le fendre. Dans les débris, je trouve une magnifique ammonite d'une quinzaine de cm de diamètre : malgré le poids du sac je décide de la garder ! Je rejoins Amandine qui me fait les yeux du « mais t'en as pas marre de gratter tout le temps dans les cailloux ? T'as vraiment rien de mieux à faire ? ». Tout content, je lui montre ma trouvaille qui n'a pas l'air de l’extasier le moins du monde...
A Villeneuve, nouvelle pause à l'ombre, il est 16h00, il ne nous reste plus grand chose à faire. Ça n'aura pas été une grosse journée, mais la chaleur l'aura rendue épuisante quand même ! Les 1,5 km de goudrons sont un peu dommage pour finir, mais on espère trouver un bon emplacement pour la guitoune ce soir. Nous entrons dans les prémisses du chaos de Nîmes le vieux et les rochers érodés aux formes étranges commencent à sortir de terre. Ça serait bien le diable si on ne trouvait pas un coin tranquille.
Le Veygalier est surtout composé d'une grosse ferme avec hangar puant l’ensilage et tutti quanti. Mais par derrière, se trouvent une demie-douzaine de maisons en pierres de calcaire qui se fondent parfaitement dans le décors du chaos rocheux. La plus grande d'entre elles est une ferme auberge avec une charmante terrasse ombragée et fleurie qui nous fait de l’œil. Un petit groupe de randonneurs est déjà là et sirote tranquillement un soda. On s'installe pour faire de même, il doit être dans les 16h30 et rien ne presse. De plus, notre stratégie pour planter la tente en milieu « urbain » nous oblige à attendre le coucher du soleil pour éviter tout dérangement impromptu. On en profite aussi pour re-remplir nos bouteilles d'eau qui sont à sec. La fin d'après-midi se passe ainsi à discuter avec les promeneurs et randonneurs qui passent inévitablement par cette étape.
Comme nous sommes en avance sur notre plan (en fait, nous voulions garder une journée sous le coude en cas de pépin), nous décidons que le lendemain serait journée de « repos ». Et plutôt que du repos, nous ferons une rando dans le chaos de Nîmes le vieux et autour, mais sans les sacs et la tente sur le dos, histoire de profiter au mieux de cette sublime partie du Causse. Nous en profiterons aussi pour manger à l'auberge demain soir, histoire de reprendre des forces. Nous prenons la réservation et nous partons en quête d'un emplacement discret pour notre tente. Au dessus du village se trouve une crête parsemée de rochers chaotiques dont un énorme perché en équilibre au dessus des autres. C'est vers cette vigie naturelle que nous nous dirigeons, peinant sous la reprise du sac.
Il ne nous faut pas longtemps avant de trouver un emplacement caché de la route et des chemins alentours. Au milieux des rochers, à l'abri du vent, avec une vue romantique sur les Cévennes. Une fois encore, il nous faut faire un peu le ménage des chardons dans le gazon : armés de nos couteaux, la tâche ne prendra pas plus d'un quart d'heure. La tente plantée, Amandine reste un peu à buller, tandis que j'explore les rochers du coin. Il y a de quoi faire de belles parties d'escalade. Plus tard, je pars monter sur la colline derrière « chez nous », une strate de calcaire révèle quelques fossiles : j'en ramène quelques uns à Amandine pour la faire enrager. En escaladant les blocs près de la tente, je trouve une cache parfaite pour nos affaire pour le lendemain. En effet, même si nous ne prenons pas nos affaires avec nous, nous n'allons pas les laisser au milieu des rochers à la vue de tous, surtout qu'en journée la zone doit grouiller de touristes et promeneurs. Nous démonterons la tente et laisserons nos affaires superflues dans cette anfractuosité de la roche.
Le soleil se couche et les ombres se font rasantes, nous montons près du rocher en équilibre pour prendre « l'apéro » : une poignée de cacahuètes et un verre d'eau. De là, dans les rayons horizontaux du soleil, nous assistons à un spectacle inédit. Une multitude de fourmis volantes, regroupées dans un immense nuage passe dans le courant d'air du col sur notre droite. Durant près d'une heure les volutes animales portées par le vent passent devant nous, certaines se posant sur les rochers alentours avant de repartir. Nous sommes à peu près à l'abri de notre point de vue et heureusement que nous avons mis le tente de l'autre coté de la crête, sinon le repas aurait pu être gâché... ! La scène est fascinante et nous ne retournons manger à la tente qu'une fois le soleil disparu derrière les collines face à nous. Il est 21h. Les Cévennes se parent de pourpre. La nuit sera pure et froide.